Le lundi au soleil
De mémoire, je crois avoir toujours connu les parties d’intérêt dans la pétanque. Ces parties où
l’argent circule, parfois à flots. Si le phénomène s’est estompé avec le temps, il a connu ses "belles heures".
Dans la fin des années 70, à Cavaillon, les riches propriétaires se retrouvaient ainsi à l’écart de la ville tous les lundis matin, dans une
carrière en plein soleil. C’était leur rendez-vous au "Cagnard", comme on disait, et les amateurs de boules du Vaucluse l’attendaient avec impatience. Les flambeurs, aussi,
ceux qui avaient de l’argent et aimaient prendre des risques avec.
Le principe était simple : les propriétaires s’affrontaient boules en mains, et choisissaient un partenaire parmi une liste de champions
présents. Ce dernier, le "jockey", touchait 10% des gains encaissés dans des parties où les mises pouvaient aller jusqu’à l’équivalent d’un millier d’euros. De quoi se faire
un peu d’argent de poche pour les uns, mais aussi perdre des fortunes pour d’autres.
Des boules truquées
C’était une ambiance particulière, évidemment sans arbitre, où j’ai assisté à des choses étranges. En cas de litige par exemple, on
déterminait le vainqueur du point à pile ou face. Un comble au regard des sommes engagées.
Parfois, on imposait à certains de jouer avec des boules truquées, à leur avantage ou désavantage, selon leur niveau. C’était une façon de
mettre un handicap, un peu comme dans les courses de chevaux. A l’instar de ces courses, les spectateurs, très nombreux, misaient eux aussi de l’argent auprès d’un type qui
prenait les paris.
Mais les parties se gagnaient avant d’être jouées, au moment de former les équipes. Un grand joueur, Robert Trovatelli, dit Otello,
connaissait d’ailleurs toutes les astuces. Lui, c’était un personnage. Un grand monsieur. Un des rares à avoir vécu de la pétanque et du jeu provençal.
Assis... avec un pardessus
Il était toujours du côté gagnant, de telle sorte que personne ne voulait plus l’affronter. Pas bête. A quoi bon jouer si on savait d’avance
qu’on allait perdre ? Alors, lui aussi a eu droit à son handicap. Mais comme aucune boule trafiquée ne pouvait étouffer son talent, on l’a donc obligé à jouer assis sur une
chaise... avec un pardessus. Le tout en plein soleil. La pétanque d'antan, c'est aussi ça.
Aujourd’hui, le "Cagnard" de Cavaillon n’existe plus. Les parties d’intérêt, elles, demeurent un peu partout en France, mais avec des enjeux
bien plus faibles. Moins d'argent, mais moins de spectacle aussi.